samedi 22 octobre 2011

Le paletot.


Pendant que je me laissais amuser le cuir chevelu par mon adorable coiffeur, le papy s'est mis en tête de trouver une nouvelle série de boutons nacrés pour accrocher à sa vieille et indémodable veste d'hiver qu'il traîne, par monts et vaux, depuis plus de dix ans mais dont il n'a pas la moindre envie de se séparer. Il en est aussi et encore de même pour un vieux pardessus fatigué dont la chanson dit qu'il appartient au père. Bref, mon homme a couru la chaussée et les magasins pour trouver ce qui me permettrait de restaurer une fois encore son vieil habit de non cérémonie.

Il a réussi dans son entreprise, non sans mal, puisqu'il m'a avoué avoir du composer avec une cinquantaine de redoutables et roublardes bonnes femmes qui cherchaient à lui filer devant le nez, à l'éjecter, à le liquider. Il est revenu ce soir avec une belle série de beaux boutons que je vais lui accrocher sur le plastron. Je viens de commencer à enfiler l'aiguille. je viens de commencer avant de m'arrêter pour me souvenir que lorsque j'avais seize ans à peine, j'enfilais sur le bas des robes les marques des bords. Je recevais vingt francs de l'époque pour border le bas des jupes ou des robes. Si les jupes étroites avaient ma faveur, je détestais les jupes à godets. Ma mère était bien vue dans le quartier pour un savoir-faire méticuleux qui conduisait les clientes à des essayages fastidieux. J'étais fière de son ardeur mais inquiète face à la démesure que prenait chaque création. La pièce réservée à la couture débordait sur le salon, la salle à manger… Les conseils, les remarques, les corrections étaient autant de grandes envolées. Il y avait des bruits de femmes. Des chuchotements et des silences. Des soupirs et des silences, surtout lorsque la couturière garde, en bouche, quelques épingles. Je n'ai jamais oublié que l'épingle est ce tout petit bout de métal qui construit toutes les architectures de la beauté et de l'amour. Je pense qu'une femme ne "fait" sa robe que lorsqu'elle sait qu'elle sera aimée.  qu'elle est ce qu'elle peut donner de mieux de son savoir-faire. Je suis de cette classe sociale où les hommes étaient fiers de leur femme parce qu'elles coupaient, cousaient, liaient, assemblaient, magnifiaient les loques entre-elles. Les sauvaient d'elle-mêmes. Ce qu'aucun d'eux ne savait faire. Dans les années soixante et septante, les femmes ont commencé à prendre le dessus des hommes en étant fières des tissus et des machines à coudre. Il n'y a pas de différence, à l'époque, entre une machine à coudre et une machine à souder. Qu'on se le dise.  Ce soir, après un repas merveilleux et inattendu, après un steak de biche venu de nulle part et préféré au restaurant, je viens de m'asseoir pendant le temps que cuisait le pain pour faire ce qu'il fallait pour que "mon homme" puisse, dès ce lundi, se couvrir, dans le froid de l'hiver naissant, de sa cape préférée, de son paletot. Un homme en paletot est un homme qui se cherche et qui se déplace. J'aime quand mon homme se cherche dans son grand âge.

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